Paris est-il vraiment en panne de taxis ?

Tu fais la grève ? Evidemment !" La conversation était sur toutes les lèvres, et la réponse toujours la même, ce mardi à la borne de la porte de Saint-Cloud,  à Paris, à la veille du mouvement de grève des taxis contre certaines propositions du rapport Attali, dont la déréglementation du métier (lire notre article).

Tous adhèrent au mouvement. Tous sont très remontés contre les idées du rapport, du moins certaines. Seul Ben, 60 ans, dans le métier depuis 20 ans, annonçait qu’il travaillerait… mais parce qu’il "n’a pas les moyens" de cesser le travail. Etant locataire auprès d’une société de taxis, il doit verser à son employeur 140 euros par jour et donc faire au moins 25 courses quotidiennes pour être rentable, quand ses collègues artisans (indépendants) sont rentables à partir d’une quinzaine de courses par jour.

Comme une baguette ou un appartement

Un quota que tous affirment avoir du mal à atteindre. "Samedi, j’ai fait 22 courses, ça faisait longtemps que ça ne m’était pas arrivé", raconte Bernard, 55 ans, taxi depuis 34 ans, "mais en moyenne, j’en fais 10 à 12 par jour, voire 15". Même chiffre avancé par Al, Hassan, James ou encore Belaid. "On commence à gagner notre journée à 130 euros". Bref, les taxis cherchent le client.

Alors, qu’on ne leur parle pas d’ouvrir la profession à de nouveaux venus. Sans droit d’entrée qui plus est. Ni même contre le paiement d’une licence à prix réduit. "C’est comme si j’achetais un appartement très cher et que demain, l’Etat décidait que tous les appartements seront gratuits et qu’en plus je devais continuer à rembourser le mien !", illustre Bernard. Et pourtant, ils seraient quand même prêts à une concession : "il y pourrait y avoir un peu plus de taxis à Paris, mais pas trop ! On pourrait monter à 500 nouveaux taxis par an, au lieu des 300 annuels à Paris". Bernard propose même de faire un essai : en autoriser tout de suite 600 supplémentaires et voir si cela suffit. Mais, augmenter le nombre de taxis ne résoudrait pas tout, selon eux.

A la recherche du client la moitié de la journée

Car le problème vient d’ailleurs, plaident-ils. "Les Parisiens sont râleurs !", pour Bernard et James -57 ans et 11 ans de métier-, même s’ils reconnaissent qu’eux aussi "préfèrent acheter leur pain au coin de sa rue plutôt qu’à l’autre bout de la ville". 

Si les taxis manquent parfois, c’est, disent-ils tous, la faute aux heures de pointe et aux embouteillages. Les chauffeurs se disent débordés de demandes deux heures le matin -entre 7h30 et 9h30- et trois heures le soir -entre 16h30 et 19h30. Des heures durant lesquelles ils ne peuvent pas faire autant de courses qu’ils le souhaiteraient, à cause du "trafic qui n’est que rarement fluide". "On est coincé dans les embouteillages et du coup les clients ont le sentiment qu’il n’y a pas de taxi", explique Normil, 46 ans, dont 8 en tant que taxi, seule femme de toute la file.

Et le reste du temps, déplorent-ils tous, "on ne fait plus rien". Et avec les compteurs qui calcule leurs heures de travail réglementées, ils ne peuvent pas rentrer faire une pause pendant les heures creuses, pour repartir au moment du rush. Certains plaident même pour la suppression de ces horodateurs.

La borne salvatrice

En attendant, les voilà tous -une bonne vingtaine-, à 11h30 du matin, faisant la queue à la station. Mais pas n’importe laquelle. Toutes ne sont pas rentables. "Prenez la borne à 200 mètres d’ici, sur le boulevard des Maréchaux, on n’y va jamais, car il n’y a jamais de clients, on attendrait trop longtemps", explique James. Alors qu’à la station de la porte de Saint-Cloud, il n’a attendu qu’un petit quart d’heure pour remonter la file de taxis et obtenir son client.

Et quand on avance que de nombreux clients ne vont pas jusqu’à une station pour les trouver, beaucoup répondent qu’ils ne vont "pas se balader dans toutes les petites rues" de la capitale. "En plus ça coûte du carburant." Chacun en a entre 20 et 40 euros par jour, affirment-ils. Alors moins ils bougent entre deux clients, mieux c’est. D’ailleurs le système des bornes, ils sont pour. Ce qu’il faut, dit Hassan, "les rendre plus efficaces et améliorer l’information" : "que les clients sachent où elles se trouvent". Et "mieux les placer", renchérit Al.

Plus de couloirs dédiés

Autre souci : les destinations où ils sont "à peu près sûrs de ne pas pouvoir ramener un client". Exemple : "la Défense à 8 heures du matin", comme le raconte Jean, 58 ans, 30 ans de métier. "C’est un quartier de bureau, donc le matin, personne n’en part. Et je dois revenir dans Paris avec mon taxi vide. Et ça me prend ½ heure ou même ¾ d’heure, parce qu’il n’y a pas de couloirs dédiés sur cet axe".

Voilà l’une de leurs revendications. Plus de couloirs dédiés, faute de pouvoir résorber les embouteillages aux heures de pointe. Bertrand Delanoë a certes "fait un effort", mais pas assez, et puis "certains couloirs ne fonctionnent pas, comme le boulevard Magenta", cite Jean. La FFTP (Fédération française des taxis de province) plaide même pour l’étalement des arrivées des TGV pour éviter l’embouteillage de clients à l’arrivée des trains en province.

"Le samedi, ça craint trop"

Et, rappelle Lawrence, 44 ans dont la moitié au volant de son taxi, "on n’a pas le droit de refuser un client à cause de sa destination". Pour les aéroports, c’est différent, "au moins, on peut rentrer avec un client", mais "ça prend du temps". D’ailleurs, tous sont pour la proposition d’Attali de "créer une voie dédiée aux taxis, aux bus et au covoiturage entre Paris et les aéroports". "Au moins on récupèrerait les 2 heures qu’on perd à attendre un client devant l’aéroport."

Dernier problème : les soirs, surtout les soirs de week-end. Beaucoup ne veulent même plus travailler à ces périodes là. "Le samedi, ça craint trop. Les gens sont ivres, violents ou s’enfuient sans payer. Je l’ai fait 7 ans, mais depuis 2 ans, je ne veux plus", explique Hassan qui ne compte plus les fois où il a dû laver sa voiture après un ‘accident de parcours’. De plus, le taxi est responsable de celui qu’il transporte, rappelle Al. Donc s’il "prend un client ivre, et qu’il tombe et se blesse", c’est Al qui sera responsable.

Source: LCI.fr